La chute ça va, c’est le sol qui est dur

abime

« Nous découvrons brusquement que le présent est la seule éternité possible »

 

Voilà un livre singulier, un roman « virtuose » comme le vante la 4ème de couv’, où Grégoire nous parle du présent. Mais au passé (dis-donc, on se croirait un peu dans Memento (*)). Remarque, je dis que c’est un livre qui parle du présent mais en fait, non. Pas exactement. C’est un livre sur le présent et sur la fin. Les fins. Celle des êtres qu’on a aimés, des vies qu’on a vécues – ou cru vivre – et qui nous ont paru alors si présentes.

L’histoire peut paraître banale de prime abord. C’est l’histoire d’une femme qui croise un regard. A ce moment, elle sait que plus rien ne sera comme avant. Car, ce regard a réveillé quelque chose. Et cette chose a faim.

Evidemment, résumer un livre en deux phrases est assez ridicule, surtout lorsque, comme ici, l’intrigue est assez secondaire. En effet, ce livre est du domaine de l’intuition et du sensible. Ce n’est d’ailleurs pas innocent si Grégoire a l’audace de se mettre dans la peau de la femme qui abandonne tout pour ce regard et non dans la peau de l’homme, objet de ce regard. Il décompose à la fois la mécanique du désastre, des vies chamboulées, mais aussi de celle du désir, infini et qui nous laisse pantois et vivant, tordant la trajectoire de nos existences. Il interroge nos failles secrètes et douloureuses, brûlantes même quand elles se réveillent. Ces failles qui une fois mises au jour ne se rendorment plus.

 

 

Une lecture addictive

Je ne sais pas pour vous, mais, personnellement, j’ai toujours la même émotion ténue quand j’ouvre un livre neuf, à peu près équivalente à cet émoi subtil de l’adolescent qui découvre ce qui se cache sous les jupes des filles, et qui tient autant de l’excitation de l’inconnu que du plaisir de célébrer un rituel, de parcourir un chemin mille fois parcouru mais que l’on sait différent à chaque fois. On se demande toujours où l’on va se perdre et quels sentiers on va explorer, quelles questions vont être soulevées – même si aujourd’hui, on connaît plus ou moins la réponse pour la jupe. Dans mon cas, la destination finale m’importe peu – et ici, elle est connue dès le début, même si Grégoire nous réserve quelques surprises – car c’est bien le fait d’arpenter le chemin et de se perdre qui est la vraie destination.

Alors oui, j’ai aimé me perdre et être surpris, et je n’ai pas pu lâcher ce roman qui nous plonge d’emblée dans la tête d’Emma. Je ne saurais dire ce qui m’a accroché – et à la limite tant mieux – même si j’ai été ancré assez vite dans le récit, du fait qu’il se situe dans le Nord, et notamment à Lille où je réside temporairement depuis un an et demi (ma vie est passionnante).

Au-delà de l’aspect géographique de ma lecture, j’avoue avoir aimé que finalement, l’objet du désir ne soit pas seulement l’autre, mais aussi soi. Il n’y a pas de plus belle découverte que celle de s’explorer dans l’envie de l’autre.

 

« Tu as eu du désir pour lui ? Non j’ai eu du désir pour moi. »

 

 

Un roman qui explore

Outre le fait que ce roman nous plonge instantanément dans l’histoire – j’ai même envie de dire dans Emma –, l’audace sus citée d’aborder le point de vue féminin nous fait vivre cette folie – de celle que l’on ne regrette jamais comme aurait pu ajouter Oscar Wilde – de l’intérieur, en explorant ce qui constitue l’essence même du désir. Le désir féminin, qui plonge la vie de l’héroïne dans le chaos, Grégoire nous le rend beau et absolu. Et étrangement, on n’est plus dans la position de juger les choix de l’héroïne, mais on les vit. Car cette histoire, elle est universelle : c’est celle de nos rencontres et de nos renoncements, celle de la vérité des émotions qui nous effleure parfois et nous fait peur, celle du présent que l’on fuit pour mieux se rassurer d’un passé ou d’un futur.

 

Grégoire interroge notre vie à tous et convoque pour cela les images qui nous captent parfois et qui nous donnent l’impression que l’on passe à côté de quelque chose en nous laissant plus vivants cependant, pantelants et au bord du vide, avec quelque chose qui gratte à la frontière de la conscience. Les héros de Grégoire, eux, décident de ne pas vivre à côté mais de plonger dans ce vide.

 

Je ne sais plus qui disait « Méfie-toi de la première impression c’est souvent la bonne », et c’est bien là que se niche cette histoire, dans cette première sensation où s’enfouissent les vérités que seule l’intuition peut nous laisser entrevoir.

 

Le bandeau qui entoure le livre nous pose une question : que risque-t-on quand on risque tout ?

Après la lecture de ce beau roman, on peut désormais affirmer sans se tromper que la réponse est dans la question.

 

——

(*) mais si, vous savez ce film où un mec se tatoue des indices sur la peau parce que sa mémoire fait reset toutes les 5 minutes et où le cinéaste s’est amusé a filmer le tout à l’envers (le genre de film où la sieste rapide n’est pas autorisée)

 

4 réponses à “La chute ça va, c’est le sol qui est dur

  1. Pingback: Chroniques de livres | Jean-Fabien, auteur sans succès·

  2. C’est effectivement intéressant d’adopter le point de vue d’une personne que nous ne sommes pas. Cela nous « force » à laisse tomber non préjugés sur le sexe opposé.
    Je me tâte à ajouter ce livre à ma « liste à lire » !

  3. Drôle – moi, homme aussi, j’ai été incapable de dire pourquoi je suis resté scotché…. »Je ne saurais dire ce qui m’a accroché – et à la limite tant mieux – même si …. »

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